Entrevue avec Agnès Berthelot-Raffard, professeure remplaçante à l’Institut d'études féministes et de genre de la Faculté des sciences sociales, sur la place réservée aux femmes dans une économie globalisée du care.
Sa recherche
La recherche de la professeure Agnès Berthelot-Raffard porte sur la nature et les injustices de genre dans l’économie mondialisée du care. Elle s’interroge notamment sur la place réservée aux femmes lorsqu’il est question de la migration de travailleuses qui viennent pallier la pénurie de main-d’œuvre dans les secteurs pédiatrique et gériatrique au Canada. Par exemple, le nouveau programme du gouvernement pour devenir un « résident permanent travaillant comme aide familiale pour soins médicaux » vise à attirer des infirmières qualifiées, dont le Canada a pourtant grand besoin pour ses institutions de soins. En revanche, dans les faits, on constate que ces personnes se retrouvent trop souvent déqualifiées et sous-employées, dans des foyers privés. Quelles sont les conséquences pour ces femmes, très bien formées dans leur pays d’origine, et souvent mères de famille ? Comme elles quittent famille et pays pour immigrer au Canada, ces familles deviennent transnationales. La délégation du care a des conséquences sur la vie de nombreux enfants et personnes âgées à travers le monde et forcément au niveau de l’économie des pays d’où ces femmes sont originaires.
Vulnérabilité des femmes redoublée par la migration
Agnès Berthelot-Raffard est venue à ce sujet après sa thèse doctorale en philosophie, qui portait sur les enjeux sociaux, politiques et moraux des soins donnés à domicile à des personnes âgées ou handicapées par les membres de leurs familles (les aidants informels). Elle s’est demandée si le recours à des travailleurs rémunérés pourrait être une solution, mais s’est vite aperçue que ce serait une mauvaise idée. Quand on regarde le programme des aides familiaux (Living in Caregiver Program) offerts par Citoyenneté et immigration Canada, on se rend compte que certaines conditions sont susceptibles d’entraîner beaucoup d’abus. Pour réduire les violences faites aux femmes, il faut leur garantir des conditions d’immigration plus justes. Cela est essentiel si l’on veut réduire les conséquences sociales pour des femmes dont la vulnérabilité est redoublée par la migration.
Domesticité des femmes au Canada
Pour parvenir à mieux comprendre la situation au Canada, elle s’est d’abord penchée sur l’historique de l’immigration canadienne. Rapidement, elle constate que le Canada a une longue histoire avec la domesticité des femmes autochtones, noires ou asiatiques; fait auquel elle ne s’attendait pas.
« Si l’institutionnalisation de la domesticité de certaines femmes n’est certes pas nouvelle, on n’en parle pas assez! Or, cela a une influence considérable sur les représentations de la féminité associées à certaines femmes. De plus, en parler plus ouvertement sensibiliserait la population aux revendications de justice sociale de certains groupes de femmes et apaiserait les tensions liées à certains débats comme celui sur le racisme systémique au Québec et en Ontario », explique la professeure Berthelot-Raffard
Capitalisme émotionnel
Le care n’est pas seulement prodigué aux personnes les plus vulnérables comme les enfants, personnes âgées ou handicapées. Nous sommes toutes et tous concernées par le développement de cette économie, que ce soit de manière indirecte, au travers de personnes ou de choses qui dépendent de nous ou directe, par la réception de soins personnels. De plus, comme le souligne Arlie Hochschild avec la notion de capitalisme émotionnel, les tâches liées au care sont aujourd’hui l’objet d’un marché destiné à nous rendre plus compétents afin que nous puissions rencontrer nos objectifs de vie, qu’ils soient d’ordres productifs ou émotionnels. À cet égard, il faut tenir compte du fait que nous nous servons de l’économie du care pour accomplir nos obligations sociales, familiales et relationnelles et ce, peu importe notre genre. « J’examine notre responsabilité morale dans le développement de l’économie mondialisée du care, qui n’est pourtant jamais remise en question. », explique-t-elle.
Chercheuse associée au CIRCEM, axe éthique du care et du souci
Au sein de Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM), Berthelot-Raffard poursuit sa réflexion en lien avec les éthiques et politiques du care, du souci et de la vulnérabilité, mettant en lumière des problématiques sociales encore invisibles. Comme l’un de ses autres domaines de recherches concerne le Black Feminism, elle s’intéresse de plus en plus aux liens entre le care et l’intersectionnalité, qui restent encore très peu théorisés. De fait, la non-reconnaissance de la valeur du travail de care est sans aucun doute en lien avec le genre, la position sociale, l’ethnicité et la nationalité des personnes qui œuvrent dans ce domaine.
Une recherche en constante évolution, à suivre de près, d’autant plus que la professeure Berthelot-Raffard aura l’occasion de présenter ses travaux accomplis au sein du CIRCEM en avril 2018, dans le cadre d’une conférence intitulée « Se soucier des nounous : une exigence entre éthique des droits et éthique du care ».