Accès au droit à l'asile au Canada - Christina Clark-Kazak

Publié le vendredi 7 juin 2019

Impact

Résumé

Illustration de gens derrière une clôture en fil de fer

Le Canada a des obligations juridiques et morales à l’endroit des personnes qui cherchent refuge. L'Entente sur les tiers pays sûrs conclue avec les États-Unis et les dispositions relatives à l'irrecevabilité proposées dans la Loi d'exécution du budget de 2019 devraient être abrogées pour assurer la protection des réfugiés.

Enjeu

Le droit de faire une demande de protection en tant que réfugié est inscrit dans la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada évalue les demandes et décide qui obtient le statut de réfugié au Canada. En raison de la géographie, des lois et des procédures d'immigration du Canada, très peu de demandeurs d’asile peuvent facilement atteindre le territoire canadien. L'Entente sur les tiers pays sûrs conclue avec les États-Unis et les récentes modifications proposées dans la Loi d'exécution du budget de 2019 limitent encore davantage le droit des personnes fuyant la persécution de demander l'asile au Canada.

Contexte

  1. L'Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs a pris effet en 2004. En vertu de l'Entente, chaque pays désigne l'autre comme un pays « sûr » pour les réfugiés. Sauf exceptions limitées, l'Entente établit le principe selon lequel les demandeurs d'asile doivent présenter leur demande dans le premier des deux pays qu'ils atteignent. Si un demandeur d'asile présente une demande à un point d'entrée canadien à la frontière canado-américaine, il sera renvoyé aux États-Unis pour y présenter une demande.
  2. L'Entente sur les tiers pays sûrs a entraîné une diminution du nombre global de demandes d'asile au Canada, ainsi qu’une augmentation du nombre de passages irréguliers à la frontière pour les demandeurs d'asile qui cherchent à éviter d'être refoulés à un point d'entrée.
  3. En 2017, le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et le Conseil canadien des Églises ont lancé une contestation judiciaire de la désignation des États-Unis comme tiers pays sûr pour les réfugiés. Ils ont souligné les nombreux aspects par lesquels le système d'octroi de l'asile américain ne répond pas aux normes juridiques internationales et canadiennes requises en matière de protection des réfugiés.
  4. Le gouvernement canadien a demandé aux États-Unis d'étendre l'Entente sur les tiers pays sûrs à toutes les personnes qui traversent la frontière, même en dehors des postes frontaliers officiels. L'objectif déclaré des modifications proposées est d'arrêter les passages irréguliers à la frontière. Toutefois, c'est la seule façon pour les demandeurs d’asile d’avoir accès au territoire canadien pour présenter une demande.
  5. Le projet de loi C-97, intitulé Loi d'exécution du budget et déposé en avril 2019, propose un nouveau critère d'irrecevabilité de la demande d'asile dans le cas où un demandeur a déjà présenté une demande d'asile dans un pays que le Canada considère comme « sûr ».

Facteurs à considérer

  1. Selon les statistiques du gouvernement du Canada, 19 419 personnes sont entrées au Canada de façon irrégulière en provenance des États-Unis pour présenter une demande d'asile en 2018. Cela représente 0,05 % de la population du Canada, et moins de 0,03 % des 68,5 millions de personnes déplacées de force dans le monde.
  2. À l’échelle mondiale, 85 % des personnes déplacées vivent dans les pays les plus pauvres du monde.
  3. Les États-Unis restreignent la capacité de demander l'asile pour les femmes fuyant la persécution fondée sur le sexe. De plus, ce pays dispose du plus grand système de détention d'immigrants et détient régulièrement des enfants séparément de leurs parents.
  4. L'Entente sur les tiers pays sûrs oblige les demandeurs d'asile à traverser la frontière canado-américaine de façon irrégulière, ce qui les expose à des risques physiques et psychologiques.
  5. Les défenseurs des réfugiés préviennent que les dispositions du projet de loi C-97 pourraient faire l'objet d'une contestation fondée sur la Charte parce qu'elles privent les demandeurs d’asile de leur droit légal de faire entendre leur revendication par un tribunal indépendant, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. En outre, comme les modifications ont été introduites dans un projet de loi omnibus sur le budget, elles ne feront pas l'objet de l'examen détaillé nécessaire pour évaluer les répercussions qu'elles pourraient avoir sur la Charte et sur les droits de la personne.

Recommandation

  1. Le gouvernement canadien devrait immédiatement révoquer l'Entente sur les tiers pays sûrs. Les États-Unis ne sont pas sûrs pour les réfugiés en raison de la rhétorique politique anti-immigration généralisée qui y a cours et de la pratique consistant à détenir les demandeurs d'asile, notamment en détenant les enfants séparément de leurs parents. Les États-Unis ne reconnaissent pas non plus la persécution fondée sur le sexe comme un motif de protection des réfugiés.

    Avantages :

    • Le Canada maintient le droit à la protection des réfugiés.
    • Les demandeurs d’asile n'ont pas à courir les risques associés au passage irrégulier à la frontière.
    • Le Canada peut mieux surveiller les demandes aux points d'entrée réguliers.

    Inconvénients :

    • Le gouvernement américain n'aimerait peut-être pas que les États-Unis soient qualifiés de pays « dangereux » pour les réfugiés, ce qui pourrait causer des tensions dans les relations canado-américaines. Toutefois, étant donné que l'administration américaine actuelle a adopté des politiques visant expressément à réduire le nombre de demandes d'asile aux États-Unis, elle pourrait accueillir favorablement ce changement, car certains demandeurs d'asile chercheraient refuge au Canada plutôt qu'aux États-Unis.
    • La révocation de l'Entente sur les tiers pays sûrs augmenterait probablement le nombre de demandes d’asile au Canada. Le gouvernement canadien devrait allouer des ressources aux organismes canadiens compétents pour s'assurer que les demandes d’asile sont tranchées de façon efficace et équitable.
  2. Les dispositions relatives à l'irrecevabilité des demandes d’asile proposées dans le projet de loi C-97 ne devraient pas être intégrées à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), car elles violent le droit de demander l'asile et pourraient faire l'objet d'une contestation fondée sur la Charte.

    Avantages :

    • Maintien du droit à la protection des réfugiés.
    • Une contestation éventuelle en vertu de la Charte est évitée.

Christina Clark-Kazak

Christina Clark-Kazak est une professeure agrégée à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et présidente de l’ « International Association for the Study of Forced Migration » (Association internationale pour l’étude des migrations forcées). Auparavant, elle a occupé le rôle d’éditrice en chef de Refuge : Revue canadienne sur les réfugiés et celui de présidente de l’Association canadienne d’études sur les réfugiés et la migration forcée. Avant de se joindre à l’Université d’Ottawa, elle a travaillé à l’Université York (2009-2017), à l’Université Saint-Paul (2007-2008) et au Gouvernement du Canada (1999-2007). Ses recherches portent sur la discrimination portant sur l’âge dans les contextes de migration et de développement de politiques, la participation politique des jeunes, et la méthodologie interdisciplinaire dans les contextes de migrations forcées. 

Haut de page