Améliorer le fédéralisme fiscal au Canada - André Lecours, Daniel Béland, Greg Marchildon, Haizhen Mou et M. Rose Olfert

Publié le vendredi 7 juin 2019

Impact

Résumé

La question du fédéralisme fiscal occupe rarement le devant de la scène lors des campagnes électorales fédérales. Pourtant, les transferts d’Ottawa aux provinces (le Transfert canadien en matière de santé [TCS], le Transfert canadien en matière de programmes sociaux [TCPS] et la péréquation) influent fortement sur la vie des Canadiennes et des Canadiens. Le défi actuel en matière de financement des soins de santé consiste à faire face à l’escalade des coûts résultant, en grande partie, du vieillissement de la population. Notre recommandation pour relever ce défi est de tenir compte des besoins et, plus particulièrement, de l’âge des populations provinciales dans le calcul du TCS.

De son côté, la péréquation est un programme de redistribution territoriale qui vise à aider les provinces dont les revenus par habitant sont inférieurs à une norme de capacité fiscale à offrir des services publics de qualité comparables à ceux des provinces à revenus plus élevés. Les paiements de péréquation ont été source de controverses ces dernières années, les premiers ministres provinciaux, comme Scott Moe de la Saskatchewan, ayant remis en question leur légitimité, en particulier au Québec. Le problème de la péréquation, c’est qu’elle a engendré du ressentiment et des tensions qui nuisent à l’unité canadienne. Pour régler ce problème, nous suggérons de créer un organisme indépendant chargé d’administrer la péréquation et de fournir une information juste et transparente sur le programme.

Enjeu

  • La nature même de la redistribution fiscale territoriale est la principale question débattue ici.
  • La question la plus importante en ce qui concerne le TCS concerne moins le montant total du transfert que la façon dont il est réparti. Selon la formule de répartition actuelle, aucun lien n’existe entre le besoin des provinces et le montant du TCS versé. Une refonte du TCS qui tiendrait compte du vieillissement de la population rendrait plus justes les transferts liés aux soins de santé.
  • Au cours des 15 dernières années, la péréquation a grandement retenu l’attention des politiciens, des commentateurs et des groupes de réflexion. Les élus de tout le pays n’ont pas hésité à faire part de leurs préoccupations au sujet du programme. Ce genre de discours, alimenté par le manque de compréhension de la population canadienne au sujet du fédéralisme fiscal, et plus particulièrement des paiements de péréquation, a suscité des différends à l’égard du programme qui nuisent à l’unité nationale.

Contexte

  • Le Transfert canadien en matière de santé (TCS) influence parfois la relation fédérale-provinciale, et pour de bonnes raisons. Totalisant plus de 38,5 milliards de dollars en 2018-2019, le TCS est le plus important transfert fédéral aux gouvernements provinciaux et territoriaux. Le gouvernement Harper a réduit le taux de croissance annuel du TCS, le ramenant de six pour cent au taux de croissance du PIB nominal ou à un plancher de trois pour cent. Il a également modifié la répartition du TCS, passant d’une formule de redistribution (à tout le moins de manière minimale) à un montant égal par habitant, ce qui a nui à certaines provinces, par exemple celles dont la population est plus âgée.
  • Après l’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral en 2015, les provinces ont rejeté l’offre de croissance annuelle du TCS de 3,5 % et ont exigé une indexation de 5,2 %. Lorsque les négociations multilatérales ont échoué, le gouvernement fédéral a entamé des négociations individuelles et a finalement conclu des ententes distinctes avec chaque province et territoire. Ces ententes bilatérales maintenaient le même facteur d’indexation annuel promis par le gouvernement Harper et offraient 11,5 milliards de dollars supplémentaires pour la santé mentale et les soins à domicile au cours de la décennie à venir. En fin de compte, l’ensemble des mesures n’a été que légèrement supérieur à l’offre du gouvernement Harper.
  • La redistribution territoriale ne se limite pas au Canada. La plupart des fédérations se sont donné des outils de « péréquation » entre leurs entités constituantes parce qu’il est pratiquement certain que ces entités ne sont pas « égales » dans leur capacité de générer des revenus et de fournir des services publics.
  • Les différends autour de la péréquation sont aussi le produit d’un système de gouvernance qui souffre de perceptions de politisation. Les tensions sur la redistribution des richesses sont peut-être inévitables, mais elles peuvent être atténuées. D’autres fédérations n’ont ménagé aucun effort pour dépolitiser leurs programmes de péréquation.
  • En Australie, par exemple, un organisme indépendant appelé la Commonwealth Grants Commission (CGC) administre la péréquation. La CGC est composée d’experts non partisans et respectés, et le gouvernement du Commonwealth établit son mandat général. La commission formule des recommandations en vue d’une redistribution appropriée de la richesse. Conséquence directe de ce cadre institutionnel, le gouvernement du Commonwealth joue un très petit rôle dans la péréquation, qui est considérée en grande partie comme apolitique.

Facteurs à considérer

  • Le TCS manque d’équité parce qu’il ne tient pas compte des besoins des provinces. Par exemple, les populations des provinces maritimes sont relativement plus âgées et ont des besoins en soins de santé plus importants que les populations des autres provinces, tandis que les populations isolées vivant dans les régions nordiques, comme le Labrador et le nord de la Saskatchewan, sont relativement plus coûteuses à desservir.
  • En ce qui concerne la péréquation, une gouvernance sans lien de dépendance, comme celle qui existe en Australie, devrait être envisagée. Toutefois, comme les provinces canadiennes ont des identités politiques plus différenciées que les États australiens, la dépolitisation de la péréquation au Canada pourrait ne pas être aussi poussée qu’en Australie.
  • Cela dit, le Canada utilise souvent le modèle de l’organisme indépendant, et ce, avec succès. Par exemple, l’Office d’investissement du RPC a été créé dans le cadre d’une réforme majeure du Régime de pensions du Canada, qui s’est déroulée du milieu jusqu’à la fin des années 1990. La gouvernance sans lien de dépendance est compatible avec le contexte politique canadien.
  • Il faut aussi tenir compte des perceptions erronées au sujet du programme. Ces perceptions découlent de la complexité de la formule et d’un manque de transparence quant au fonctionnement interne du programme, deux facteurs qui facilitent les manipulations politiques.

Options

  • En ce qui a trait au TCS, nous suggérons que le gouvernement fédéral tienne compte des besoins des provinces en matière de services et, en particulier, de la structure par âge des populations lorsqu’il transfère des fonds pour les soins de santé.
  • Pour ce qui est de la péréquation, nous suggérons la création d’un organisme indépendant chargé d’administrer le programme afin de réduire au minimum la perception de politisation au sein du public.
  • Pour le fédéralisme fiscal et, plus précisément, la péréquation, nous suggérons que le gouvernement fédéral ou un organisme indépendant, le cas échéant, déploie des efforts importants et ciblés en matière de sensibilisation et de transparence.

André Lecours (Université d’Ottawa), Daniel Béland (Université McGill), Greg Marchildon (Université de Toronto), Haizhen Mou (Université de la Saskatchewan) et M. Rose Olfert (Université de la Saskatchewan)

André Lecours

André Lecours est professeur titulaire à l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa. Ses intérêts de recherche portent sur les politiques canadiennes, politiques européennes, le nationalisme (avec un accent sur le Québec, l’Écosse, la Flandre, la Catalogne et le Pays basque) et le fédéralisme.

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