Atteindre les objectifs de développement durable : Financement mixte et solutions de rechange pour le secteur public - Susan Spronk et Adrian Murray

Publié le mardi 25 juin 2019

Impact

Résumé

Chaîne de trois personnage faits de riz

Le gouvernement du Canada favorise de plus en plus le financement mixte (une forme de

partenariat public-privé) comme moyen d’atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies pour 2030. Cependant, le financement mixte nuit à la capacité du Canada de respecter ses engagements à l’égard des objectifs établis de l’aide publique au développement (APD), à savoir la réduction de la pauvreté, pilier central des ODD. Les solutions faisant appel au secteur public constituent une solution de rechange plus démocratique, équitable et efficace et devraient donc être adoptées par le gouvernement canadien.

Enjeu

  • Une plus grande partie de l’APD est canalisée vers le « financement mixte » (une forme de partenariat public-privé pour le financement du développement) plutôt que d’être distribuée par les canaux traditionnels, notamment les projets, les programmes et l’appui budgétaire aux pays en développement.
  • Le Canada ne consacre qu’une petite partie de son revenu national brut (RNB) à l’aide publique au développement (APD) et est loin de l’objectif fixé par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1970 (0,7 % du RNB), sa contribution s’étant établie à seulement 0,28 % du RNB en 2018. Depuis les années 2000, un pourcentage croissant des engagements du Canada a été affecté au financement mixte.
  • Le financement mixte présente un bilan médiocre; il ne permet pas d’obtenir les fonds nécessaires et la grande majorité est acheminée vers les pays à revenu intermédiaire dans des secteurs ayant peu d’impact sur les résultats en matière de développement.

Contexte

  • Les Nations Unies (ONU) estiment que le déficit de financement pour atteindre les ODD (17 objectifs de développement adoptés par les États membres des Nations Unies en 2015 et devant être réalisés d’ici 2030) est de 2,5 billions de dollars américains par an.
  • Avec un total de 153 milliards de dollars américains à l’échelle mondiale en 2018, les niveaux actuels de l’APD sont loin d’être suffisants. D’autres sources de financement doivent être trouvées.
  • L’APD n’est pas la plus grosse source de financement du développement, mais c’est la plus importante. En effet, c’est la source de revenu la plus stable et elle fournit un soutien vital aux programmes gouvernementaux essentiels dans les pays les moins avancés. Néanmoins, lors des négociations sur le financement des ODD, les pays du Nord et les institutions multilatérales de développement ont proposé que davantage de fonds publics soient détournés pour mobiliser des investissements supplémentaires du secteur privé en faveur du développement durable, ce que l’on appelle des partenariats public-privé ou le « financement mixte ».
  • Bien que le Canada se soit engagé à respecter le Plan d’action sur l’efficacité de l’aide de l’OCDE, qui comprend le déliement de l’aide et la priorisation de la planification des pays bénéficiaires, au cours de la dernière décennie, l’APD canadienne a de plus en plus servi les intérêts des entreprises canadiennes à l’étranger. Les ONG canadiennes ont soulevé des préoccupations au sujet du bilan des entreprises canadiennes en matière de droits de la personne, en particulier celles de l’industrie extractive, qui ont reçu un appui indéfectible du gouvernement canadien à l’étranger.
  • Les augmentations récentes des engagements au titre de l’APD ont été minimes, et les fonds de l’enveloppe de l’APD ont été réaffectés au financement mixte. Les modifications législatives apportées à la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle ont réduit la transparence et l’obligation de rendre des comptes quant à l’affectation de l’APD et à la façon dont elle est dépensée.
  • L’élimination de l’Agence canadienne de développement international sous le gouvernement Harper en 2013 et son rattachement au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (rebaptisé Affaires mondiales Canada) a compromis l’indépendance de la direction du développement, subordonnant cette dernière aux portefeuilles relativement plus puissants des Affaires étrangères et du Commerce international.
  • En 2017, le gouvernement du Canada a créé un institut du financement du développement (IFD), sous les auspices d’Exportation et développement Canada (EDC). Son mandat est de soutenir la « croissance inclusive du secteur privé » par le biais d’initiatives de financement mixte. Un rapport d’Eurodad a révélé que les entreprises basées dans les pays à faible revenu ne recevaient qu’un quart des contrats de l’IFD, la part du lion revenant aux entreprises des pays riches, et que ces investissements étaient souvent acheminés par l’intermédiaire des paradis fiscaux. FinDev Canada est susceptible de faire de même, ce qui soulèvera des questions sur la transparence et sur une commercialisation accrue de l’aide canadienne.

Facteurs à considérer

  • Outre leur soutien enthousiaste au financement mixte, les pays du Nord, dont le Canada, ont bloqué les campagnes des pays du Sud et de la société civile visant à accroître la mobilisation des ressources intérieures dans le Sud, notamment pour lutter contre l’évasion fiscale, limiter la fuite des capitaux et restructurer la dette odieuse, c’est-à-dire les dettes illégitimes contractées sous des régimes autoritaires et illégales en droit international.
  • Un grand nombre d’éléments donnent à penser que le recours aux partenariats public-privé pour le financement du développement est mal conçu. Le financement privé est plus coûteux que le financement public, car les partenariats public-privé sont complexes et difficiles à contrôler, n’améliorent pas l’efficacité (surtout sociale) et souffrent d’un manque de transparence et de responsabilité démocratique. Ils constituent un choix particulièrement mauvais dans les pays où la capacité de réglementation de l’État est faible.
  • En dépit des efforts considérables déployés à l’échelle mondiale pour promouvoir le financement mixte, il existe peu de preuves qu’il offre une quelconque valeur ajoutée pour le développement. Au contraire, ce mode de financement du développement détourne les investissements des pays les plus pauvres et des services dont ils ont le plus besoin (par exemple dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’eau et de l’assainissement) vers des activités économiques plus rentables dans les pays à revenu intermédiaire, dans des secteurs ayant un impact négatif sur le développement écologiquement et socialement responsable, tels que les secteurs financier, industriel et extractif.

Recommandations

Les solutions de rechange au financement mixte du développement comprennent quatre propositions, présentées dans l’ordre d’importance et de faisabilité politique :

  • Engagement à l’égard du Plan d’action sur l’efficacité de l’aide et revitalisation de ce dernier, en particulier pour augmenter le niveau de l’APD canadienne de manière à ce qu’elle atteigne l’objectif de 0,7 % du RNB fixé pour les donateurs par les Nations Unies (en hausse par rapport à environ 0,28 %).
  • Adopter une approche de partenariat public-public pour financer le développement en mettant en commun des capitaux dans des fonds multilatéraux qui donnent la priorité à l’accès universel à des services publics abordables et de qualité (par exemple, le Partenariat mondial pour l’éducation).
  • Promouvoir les partenariats publics-publics dans la fourniture d’infrastructures et de services de base, en s’appuyant sur des exemples du secteur de l’eau et de l’assainissement (par exemple, l’Alliance mondiale des opérateurs de services d’eau de l’ONU-Habitat).
  • Réviser le mandat de FinDev Canada de manière à créer une banque publique de développement dont l’objectif est de renforcer la capacité du secteur public et l’infrastructure de base dans les pays en développement.

La force de ces diverses approches réside dans le fait que les Canadiens appuient fermement la prestation de services publics, en particulier dans le domaine de la santé. En outre, il existe un précédent pour des initiatives de financement public en Europe (par exemple, la KfW en Allemagne et la Nederlandse Waterschapsbank N.V. aux Pays-Bas) et aux États-Unis (par exemple, le Dakota du Nord possède une banque publique prospère). Pourtant, malgré un contexte favorable, ces propositions se butent à un manque de volonté politique d’envisager des solutions de rechange dans le secteur public. Toutefois, les demandes croissantes du public en faveur d’une plus grande égalité des revenus et de la justice climatique pourraient changer cela. Au lieu de promouvoir des initiatives de financement mixte, le Canada pourrait rediriger l’APD existante vers des fonds d’investissement communs pour aider à renforcer la capacité du secteur public de fournir des services essentiels dans les pays du Sud.


Susan Spronk

Susan Spronk est professeure agrégée à l’École de développement international et mondialisation à l’Université d’Ottawa. Elle est spécialiste des questions du développement en Amérique latine. Plus particulièrement, elle étudie l’impact du néolibéralisme sur la transformation de l’État, ainsi que l’émergence des mouvements de lutte contre la privatisation dans la région andine.

Adrian Murray

Adrian Murray est un étudiant au doctorat à l'École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les expériences des mouvements syndicaux et sociaux qui opposent la restructuration néolibérale des services publics dans les pays du Sud.

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