
Résumé

Le prochain gouvernement canadien devra placer au cœur de ses politiques des solutions à l’inégalité. Cela supposera d’avoir une idée claire de l’ampleur et de la nature du problème au Canada. Cela supposera aussi de comprendre l’incidence probable que diverses politiques peuvent avoir sur les niveaux d’inégalité à l’échelle du pays, puis d’élaborer une stratégie à plusieurs niveaux pour les réduire. Après presque un quart de siècle d’inégalité croissante au Canada, et compte tenu des conséquences perverses qu’elle entraîne en matière de sécurité, de croissance économique, de santé et de bien-être, il est grand temps de commencer à prendre au sérieux les inégalités économiques.
Enjeu
- L’inégalité économique s’entend de la mesure dans laquelle le revenu et la richesse sont répartis de manière non uniforme dans un pays. Selon un rapport de l’OCDE publié en 2015, plus les inégalités économiques augmentent, moins les personnes issues de milieux pauvres sont susceptibles de décrocher un diplôme d’études postsecondaires, et plus elles risquent de connaître de longues périodes de chômage. Des organisations internationales de premier plan comme le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE, ainsi que des experts dans le domaine, confirment que l’inégalité économique a un effet corrosif sur les sociétés, car elle réduit la mobilité sociale, a des conséquences négatives sur la santé et entrave le bien-être général.
- Pour élaborer une solution utile pour contrer l’inégalité économique, il faut d’abord mieux comprendre la nature et l’étendue des conditions qui y sont associées, tout en explorant méthodiquement les façons dont les politiques publiques influent sur l’inégalité au pays.
Contexte
- Depuis les années 1980, l’orthodoxie économique soutient que l’inégalité économique est une chose naturelle, inévitable et bénéfique pour la croissance économique. Cependant, de récentes recherches ont démontré que de tels énoncés sont faux. L’OCDE a calculé qu’une augmentation de 1 % de l’inégalité des revenus réduit la croissance du PIB de 0,6 % à 1,1 %. Comme l’indique un récent rapport de l’IRPP (en anglais seulement), le coefficient de Gini du Canada (une mesure de l’inégalité) a augmenté de 3 % entre 1997 et 2010.
- L’inégalité a augmenté dans de nombreux pays dans les dernières décennies. Selon le Conference Board du Canada (en anglais seulement), l’inégalité du revenu au Canada a augmenté au cours des 20 dernières années, ce qui le place au 12e rang sur 17 pays semblables.
- Après plusieurs décennies de diminution de l’inégalité à la suite de la Seconde Guerre mondiale, les niveaux d’inégalité au Canada ont commencé à augmenter (rapport en anglais seulement) de façon soutenue au milieu des années 1990, quand le gouvernement Chrétien a commencé à réduire les transferts aux particuliers pour diminuer le déficit.
- Entre 1982 et 2010, selon un rapport de l’IRPP (en anglais seulement), le revenu tiré du marché du travail chez les 90 % des contribuables canadiens les moins bien nantis n’a augmenté que de 2 % en valeur réelle, tandis qu’il s’est accru de plus de 75 % chez les 10 % les mieux nantis et de 160 % chez les 0,1 % qui sont encore mieux nantis.
- Dans la plupart des pays de l’OCDE (en anglais seulement), y compris au Canada, l’inégalité des revenus s’est en fait aggravée (en anglais seulement) depuis la crise financière mondiale de 2008, la stagnation des salaires et l’essor du marché boursier ayant contribué à accélérer la croissance des inégalités.
- L’un des principaux instruments utilisés par les gouvernements pour contrer les inégalités est le régime fiscal, en tant qu’instrument pour générer des revenus permettant de fournir des services aux citoyens et d’influer sur le fardeau imposé aux salariés en fonction de leur revenu et de leur richesse. Il est intéressant de noter qu’en 2017, les travailleurs des 36 pays de l’OCDE (en anglais seulement) ont payé en moyenne un peu plus du quart de leur salaire brut en impôts. Avec un fardeau fiscal de 22,8 %, le Canada se classe sous la moyenne, derrière les États-Unis, où le fardeau fiscal est de 26 %.
Facteurs à considérer
- Sur le plan politique, comme l’OCDE l’a fait remarquer dans un récent rapport (en anglais seulement), quand les avantages de la croissance économique sont partagés de manière très inégale, cela peut conduire au ressentiment social, au soutien des dirigeants populistes et au protectionnisme.
- Sur le plan social, des sociétés plus égalitaires ont une plus grande capacité et un plus grand potentiel pour s’épanouir. La pauvreté et l’inégalité généralisées au sein d’une population portent atteinte à la dignité et réduisent l’accès à l’éducation, aux services de santé, au logement et à la sécurité sociale. Les effets de cette inégalité se transmettent d’une génération à l’autre et se renforceront et s’étendront avec le temps si rien n’est fait pour y remédier.
- Caractérisées par une stratification sociale, les inégalités économiques influent également sur les choix et les comportements individuels. Selon Jonathan Aldred [traduction] : « Au fur et à mesure que les 1 % des plus nantis s’enrichissent, ils sont plus motivés et plus aptes à s’enrichir davantage ». Les personnes à revenu élevé et les détenteurs de richesses ont le plus à gagner des réductions d’impôt, puisqu’ils conserveront une plus grande proportion de leur revenu après impôt. Parallèlement, les personnes qui vivent dans des conditions économiques plus précaires sont souvent incitées à faire des choix qui renforcent ce qu’on appelle le « tri social », c’est-à-dire le retrait des programmes d’immersion dans les écoles, ce qui peut limiter les possibilités de revenu et d’emploi dans l’avenir.
- Comme le faisait remarquer un article récent du Globe and Mail (en anglais seulement), nous ne disposons pas de suffisamment d’information sur la façon dont les grandes politiques économiques touchent les Canadiens riches, ceux à revenu moyen et les plus pauvres. Il s’agit là d’une lacune que l’American Bureau of Economic Analysis tente actuellement de corriger.
- Bien que Statistique Canada ait pour mission de suivre les tendances, bon nombre de ses instruments sont soit volontaires, soit appliqués de façon intermittente. C’est le cas par exemple de l’Enquête canadienne sur le revenu, une enquête à participation volontaire qui est menée chaque année. Par ailleurs, l’Enquête sur la sécurité financière (ESF), qui recueille de l’information auprès d’un échantillon de ménages canadiens sur leurs avoirs, leurs dettes, leur emploi, leur revenu et leur éducation, n’est menée qu’occasionnellement. Enfin, selon l’information sur les sources de données et la méthodologie de l’ESF, l’échantillon de l’enquête est axé sur les familles des dix provinces et exclut expressément les territoires, les personnes vivant dans les réserves et autres établissements autochtones et les personnes vivant en résidence pour personnes âgées, entre autres. Dans l’ensemble, cela signifie que nous avons une compréhension incomplète et fragmentée des conditions associées à l’inégalité économique au Canada.
- En tant que membres de la fédération canadienne, les provinces et les territoires sont les principaux responsables de la prestation des services sociaux et détiennent bon nombre des leviers stratégiques qui pourraient être utilisés pour remédier aux inégalités économiques au pays. Une collaboration intergouvernementale concertée s’impose donc pour élaborer des stratégies utiles, complètes et efficaces afin de réduire les inégalités au Canada et d’y mettre fin.
Recommandations
- Le prochain gouvernement canadien devra travailler en collaboration avec les provinces, les territoires, les municipalités et les gouvernements autochtones pour construire une nouvelle infrastructure de données qui permettra de mieux comprendre la nature et l’étendue de l’inégalité économique au pays et la façon dont elle influe sur les choix que font les personnes.
- Au moyen de ces données, le gouvernement devra se servir de l’inégalité comme d’une lentille pour l’élaboration de nouvelles politiques, c’est-à-dire qu’il devra tenir compte des répercussions des grandes politiques sur les niveaux d’inégalité.
- En outre, le gouvernement devrait rendre visibles les coûts probables de l’inégalité à moyen et à long terme. Cela ne veut pas dire que le gouvernement ne peut pas poursuivre des politiques qui accroîtront l’inégalité, mais il devrait être en mesure de défendre les raisons justifiant de telles politiques.
- À l’aide de cette information enrichie, le gouvernement devra établir une stratégie solide à plusieurs volets pour s’attaquer aux diverses formes d’inégalité du revenu et de la richesse au Canada.

Jacqueline Best
Jacqueline Best est professeure titulaire à l’École d’étude politique à l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les relations internationales, tout particulièrement sur la gouvernance des finances internationales et l’éthique de la mondialisation économique.

Jennifer Wallner
Jennifer Wallner est professeure agrégée à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa. Ses recherches portent sur les relations intergouvernementales et les politiques publiques dans un contexte comparatif, en mettant l’accent sur les politiques en matière d’éducation, le fédéralisme fiscal et les institutions. Elle examine actuellement la manière dont différents groupes au sein d'une fédération peuvent faire l'expérience de la (non) reconnaissance et de la (dés) autonomisation.