
Enjeux

Un des moments forts de la dernière campagne électorale fédérale fut la promesse du chef du Parti libéral Justin Trudeau d’investir deux fois plus que ce qui est prévu dans les infrastructures sur les dix prochaines années et de faire passer l’investissement fédéral dans les infrastructures de 65 à 125 milliards de dollars sur dix ans. L’aspect le plus surprenant de cette promesse était qu’elle incluait l’aveu de recourir à l’emprunt et à l’endettement sur une période de temps relativement longue, renonçant du coup au retour à l’équilibre budgétaire pendant toute la durée du mandat. Cette promesse a sans doute affecté le résultat électoral, repositionnant le Parti libéral un peu plus à gauche de l’échiquier politique. Cela dénote bien l’importance de l’enjeu politique des infrastructures dans le processus électoral. En fait, les investissements en infrastructures ont toujours été un enjeu lors des élections fédérales depuis le milieu des années 1990. Depuis, cet enjeu a plutôt connu une amplification à chacune des élections fédérales, et ce, dans tous les partis politiques. Le mandat de Justin Trudeau n’a pas fait exception et a été marqué par le dossier des infrastructures, qui a souvent été associé aux enjeux économiques et environnementaux.
Considérations
La politique du gouvernement Trudeau en matière d’infrastructures est largement associée au plan Investir dans le Canada adopté en 2016. Il s’agit d’un plan ambitieux de 180 milliards de dollars sur douze ans, censé permettre la croissance économique, appuyer l’économie verte et bâtir des communautés inclusives. Une analyse des tendances en matière de dépenses d’Infrastructure Canada au cours des quatre dernières années indique que le niveau d’engagement des dépenses en matière de programmes d’infrastructures a effectivement augmenté de manière significative, passant de 3,2 milliards en 2015-2016 à 6,2 milliards de dollars canadiens en 2018-2019. Cela étant dit, les sommes non dépensées de l’ensemble des Fonds d’Infrastructure Canada sont demeurées relativement élevées, atteignant jusqu’à 2,8 milliards de dollars en 2018-2019. Cela s’explique notamment par les difficultés de planification et la durée des projets d’infrastructures financés, mais aussi par la complexité des arrangements intergouvernementaux associés au financement et à la construction des projets d’infrastructures.
On se souviendra aussi qu’un des points forts du début de mandat du gouvernement actuel a été sa participation active à la COP21 et à l’Accord de Paris sur le climat en décembre 2015. Parmi les mesures du gouvernement du Canada visant à diminuer les émissions de carbone, on relève notamment :
- Les investissements dans le transport en commun;
- L’amélioration de la performance énergétique des bâtiments et le déploiement de bornes de recharge pour les véhicules électriques;
- Les actions de la Fédération canadienne des municipalités (FCM) dans son Programme Municipalités pour l’innovation climatique.
Un autre exemple des politiques du Parti libéral est la création de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC). Cette nouvelle structure a été une priorité du plan Investir dans le Canada. Le rapport d’étape de la BIC publié en avril 2019 fait état d’un objectif d’investissement à long terme de 35 milliards de dollars. Jusqu’à maintenant, un seul investissement a été réalisé, à savoir le Réseau express métropolitain (REM) à Montréal, d’une valeur de 1,28 milliard de dollars. Aussi, treize projets sont à l’étape du « contrôle raisonnable », et 100 projets ont été déposés pour examen.
Une des actions gouvernementales qui a le plus retenu l’attention publique lors du mandat libéral actuel a certainement été l’acquisition, par le gouvernement du Canada, de l’oléoduc Trans Mountain auprès de la firme privée Kinder Morgan Canada pour un montant estimé à 4,5 milliards de dollars canadiens. Cette initiative est survenue sans prévenir et a connu son lot de controverses, puisqu’elle est vue par plusieurs acteurs comme incompatible avec le programme environnemental du gouvernement actuel. Le pari du gouvernement était de revendre cet actif une fois les conditions de vente réunies, mais il est possible que le gouvernement du Canada soit contraint d’en conserver la propriété pendant de longues années à venir.
Le plan Investir dans le Canada comporte également quelques composantes distinctives par rapport aux programmes d’infrastructures des années précédentes :
- Le Défi des villes intelligentes. Ce concours est ouvert à toutes les municipalités canadiennes, ainsi qu’aux administrations régionales et aux collectivités autochtones, et offre des prix allant jusqu’à 50 millions de dollars pour la réalisation de projets intégrant les nouvelles technologies. Plusieurs de ces projets ont porté sur la construction de nouvelles infrastructures faisant appel aux nouvelles technologies, aux mégadonnées et à l’Internet des objets.
- Dans son budget de 2019, le gouvernement a aussi approuvé une augmentation de la taxe sur l’essence, faisant passer celle-ci de 1,1 milliard à 2,2 milliards de dollars. Ce fonds est très populaire auprès des municipalités, car il n’implique pas de fonds en contrepartie.
Recommandations
Selon ce qu’on peut s’attendre des enjeux politiques liés aux infrastructures lors de la prochaine campagne électorale, voici quelques perspectives et recommandations :
- Environnement et transport. Tout d’abord, il est à prévoir que le couplage entre l’environnement et les infrastructures demeurera un enjeu crucial lors de la prochaine campagne électorale. Dans cette optique, le prochain gouvernement devrait logiquement maintenir ou accroître l’appui aux projets de transport en commun dans les grandes villes et créer des incitatifs pour l’adoption de moyens de transport qui utilisent des énergies moins polluantes (p. ex., autos électriques).
- Banque de l’infrastructure du Canada. Le rôle de la BIC devrait se préciser lors du prochain mandat fédéral. On verra sans doute se déployer une plus grande proportion des investissements en infrastructures par le truchement de la nouvelle Banque de l’infrastructure du Canada. D’ici cinq ans, on devrait avoir une meilleure idée de la pertinence, de l’efficience et de l’efficacité de cette approche pour le financement des infrastructures. C’est pourquoi il importe de bien évaluer cet instrument de politique publique au fur et à mesure qu’il se déploie.
- Relations intergouvernementales. Lors du dernier congrès de la FCM tenu en mai 2019, le premier ministre actuel ainsi que le chef de l’opposition se sont positionnés en faveur du maintien des programmes d’infrastructures, mais ils ont aussi affiché leurs intentions d’établir de nouvelles modalités plus directes de financement et de collaboration entre le gouvernement fédéral et les municipalités sous entendant de contourner les provinces. Ces velléités sont généralement reçues avec beaucoup de résistance de la part des provinces qui cherchent à protéger leurs champs de compétences. Le rôle et la place des villes doivent continuer à évoluer vers davantage d’autonomie malgré le contexte du fédéralisme canadien. Il sera important de trouver de nouvelles modalités pour simplifier le financement et la gestion des infrastructures urbaines.
- Sécurité publique. Les menaces à la sécurité du Canada comme les catastrophes météorologiques et le terrorisme nous amènent également à penser que le prochain gouvernement devra se concentrer sur les infrastructures essentielles, notamment par une révision de la dernière Stratégie nationale sur les infrastructures essentielles adoptée il y a une dizaine d’années. Les grandes villes comme Montréal, Toronto, Vancouver et Calgary ont commencé à se doter d’une stratégie de résilience pour faire face aux catastrophes environnementales, économiques, sociales et géopolitiques. Il serait important pour le gouvernement fédéral d’appuyer cette initiative, afin de permettre la généralisation à d’autres villes et d’en tenir compte lors du renouvellement de sa propre stratégie.
- Infrastructures technologiques. Les ressources financières et les compétences réglementaires du gouvernement fédéral en matière d’infrastructures seront sans doute sollicitées pour financer et réguler les prochaines avancées technologiques au Canada. L’utilisation des mégadonnées et de l’intelligence artificielle, le déploiement du réseau 5G et les villes intelligentes seront forcément à l’agenda du prochain gouvernement. Un autre enjeu important concerne l’accès « universel » au réseau Internet haute vitesse pour tous les Canadiens. Cet accès est très limité à l’extérieur des grands centres, car le marché n’arrive pas à le fournir à tous les Canadiens. Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans tous ces dossiers et il devra faire preuve de leadership.
- Crise du logement. Dans plusieurs villes et territoires, la crise du logement se fait de plus en plus sentir. Le besoin de logements à prix modique émerge comme un enjeu de plus en plus répandu et a des conséquences dramatiques pour les individus et les ménages les plus vulnérables, et les infrastructures des Premières Nations. Le gouvernement fédéral a négligé cet enjeu pendant de longues années, mais il serait souhaitable qu’il accorde une plus grande attention à ce problème en y injectant plus de ressources dans les villes et auprès des communautés des Premières Nations.
- Infrastructure des communautés des Premières Nations. Les systèmes d’adduction d’eau potable et d’eaux usées sont inadéquats dans les réserves autochtones et ont des conséquences négatives sur la santé et la qualité de vie des communautés des Premières Nations. Le gouvernement actuel a accordé une certaine attention à ces problèmes, mais les idées, les solutions et le financement dans ce secteur n’ont pas beaucoup progressé depuis plusieurs années et demeurent insuffisants devant la gravité des problèmes. Le gouvernement fédéral est responsable de ce déficit d’infrastructure et il devrait en faire davantage.

Éric Champagne
Eric Champagne est professeur agrégé à l'École d'études politiques et directeur du Centre d'études en gouvernance de l'Université d'Ottawa. Ses recherches se concentrent sur la gestion de la performance des actions publiques, sur la gouvernance multiniveau dans le financement et la mise en œuvre des politiques de transport, d’infrastructure et de sécurité publique, ainsi que sur l’impact des nouvelles technologies numériques sur les transformations de la gouvernance publiqueCharles-Étienne Beaudry est doctorant en science politique à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses champs d’intérêt couvrent la mécanique de l’administration publique et les principes de la science politique. Son mémoire de maîtrise se penchait sur les ententes entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et municipaux dans le domaine des investissements en infrastructures publiques au Canada.

Charles-Étienne Beaudry
Charles-Étienne Beaudry est doctorant en science politique à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses champs d’intérêt couvrent la mécanique de l’administration publique et les principes de la science politique. Son mémoire de maîtrise se penchait sur les ententes entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et municipaux dans le domaine des investissements en infrastructures publiques au Canada.