Faire changer les choses en République centrafricaine : Options quant au rôle de soutien de la paix du Canada - Rita Abrahamsen et Gino Vlavonou

Publié le jeudi 11 juillet 2019

Impact

Résumé

Policiers avec casques lors d’un spectacle en ville

Le conflit de longue date qui perdure entre groupes rivaux en République centrafricaine (RCA) a donné lieu à l’une des crises humanitaires les plus graves au monde. L’ONU et l’Union africaine participent toutes deux à des opérations de paix, mais le conflit persiste et la RCA demeure l’un des endroits les plus dangereux pour les acteurs du maintien de la paix. Le Canada a toujours joué un rôle de premier plan dans le maintien de la paix à l’échelle internationale et, selon un sondage mené en 2016, environ 70% des Canadiens appuient la participation du Canada aux activités de maintien de la paix des Nations Unies. Pourtant, le rôle du Canada dans les opérations de soutien de la paix est moins important qu’il l’était dans les années 1990. En ce qui concerne la crise en RCA, le Canada peut jouer un rôle de premier plan et retrouver son statut de chef de file dans les opérations de soutien de la paix. En particulier, le Canada devrait parrainer des programmes plus que nécessaires de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) et de réforme du secteur de la sécurité (RSS).

Enjeu

  • Le conflit armé en République centrafricaine a déstabilisé le pays et a eu des conséquences humanitaires dévastatrices. Plus de 5000 personnes sont mortes depuis 2014, quelque 621 035 sont déplacées à l’intérieur du pays et 572 984 sont réfugiées dans les pays voisins.
  • Le pays est situé dans une « région instable » et la violence en RCA ajoute à l’agitation politique dans les pays voisins du Tchad, du Soudan, du Sud-Soudan, de la République démocratique du Congo et du Cameroun.
  • Le Canada a été un chef de file en matière de maintien de la paix à l’échelle internationale, et sa politique étrangère a toujours été centrée sur un rôle de bon acteur étatique international. En 2016, le gouvernement canadien a dévoilé sa politique de soutien de la paix, qui prévoit un financement accru des opérations de paix et le déploiement possible de militaires et de policiers dans quatre pays africains. Cependant, on ne connaît pas exactement l’ampleur du soutien que le Canada est prêt apporter à l’appui de sa politique étrangère internationale.
  • En RCA, le Canada doit se réengager dans des opérations de maintien de la paix internationales et apporter une contribution importante et durable.

Contexte

  • La RCA connaît de l’instabilité politique depuis son accession à l’indépendance en 1960. En mars 2013, la Seleka, une coalition de rebelles du Nord, a destitué le président du pouvoir par un coup d’État.
  • Des groupes d’autodéfense anti-balaka se sont formés pour résister à la coalition, et le pays est tombé dans une spirale de violence entre les communautés.
  • La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) a été créée en avril 2014. La mission se débat pour maintenir la paix, les groupes armés contrôlant toujours une grande partie du territoire centrafricain. La situation humanitaire est catastrophique. L’Union africaine (UA) surveille la paix dans le cadre de son Initiative africaine pour la paix.
  • En plus de la crise humanitaire et du potentiel de déstabilisation régionale, les intérêts miniers canadiens sont également en jeu en RCA, particulièrement dans le secteur aurifère. À ce titre, le Canada a des intérêts économiques à défendre dans le pays.
  • La Canadienne Denise Brown est la nouvelle représentante spéciale adjointe pour la MINUSCA, ce qui offre au Canada l’occasion d’exercer une certaine influence. À l’heure actuelle, le Canada fait la promotion des questions sexospécifiques en RCA.

Facteurs à considérer

  • Le désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR) et la réforme du secteur de la sécurité (RSS) sont des composantes importantes des processus de paix. La RCA a été témoin de plus d’une douzaine de missions de maintien de la paix et de l’échec de plusieurs processus de DDR et de RSS. Ces échecs sont dus en partie à la complexité de la politique des élites et à la politicaillerie, mais aussi aux politiques des partenaires internationaux qui ont toujours cherché des solutions rapides et bon marché pour pouvoir se désengager du pays.
  • La RCA a besoin d’un soutien financier pour une RSS et un DDR complets qui engloberont à la fois l’armée et les groupes rebelles.
  • L’armée a reçu l’attention d’autres partenaires internationaux et la Mission militaire de formation de l’Union européenne en RCA (EUTM-RCA) assure actuellement la formation de l’armée. La France, la Chine et la Russie participent également à des activités de formation militaire.
  • Les groupes rebelles sont fragmentés et disposent de diverses capacités militaires. Plus de 14 groupes armés sont actifs sur le territoire. Les chefs rebelles sont actuellement membres du gouvernement, et l’activité des rebelles s’est donc imposée comme une stratégie de négociation précieuse qui mène au pouvoir et à l’influence. Cela a nui au désarmement.
  • Le gouvernement actuel a coopté plusieurs rebelles à des postes ministériels, mais le gouvernement est très impopulaire.
  • La RCA est actuellement un espace d’intervention encombré, avec de nombreux acteurs, bailleurs de fonds et initiatives diverses sans coordination claire. L’objectif de l’UA est d’être le principal médiateur et coordonnateur dans la crise actuelle.

Recommandations 

  • Le Canada a un rôle à jouer. Il devrait fournir un soutien logistique aux troupes. Cela améliorerait la réactivité de la MINUSCA et la protection des civils. Cet engagement doit être à long terme pour être efficace.
  • En raison de l’échec des exercices de DDR antérieurs, le Canada devrait participer à un programme de DDR et de RSS soigneusement planifié et entièrement financé pendant une période prolongée. Un DDR bien financé soutiendrait le renforcement de la confiance entre l’armée, les anciens groupes rebelles et les citoyens et renforcerait la cohésion sociale en RCA. Le risque est que le DDR puisse avantager d’anciens rebelles et soldats qui ont commis des violations des droits de la personne.
  • En ce qui concerne la RSS, le Canada devrait mettre l’accent sur les forces de sécurité comme la police et la gendarmerie dans le but de les rendre plus efficaces, réceptives et responsables devant les citoyens.
  • Afin de ne pas créer un autre canal de financement ou de négociation, et ainsi limiter la capacité des rebelles et des élites politiques de « magasiner sur les différentes tribunes », le Canada devrait appuyer le travail de l’ONU et de l’UA.

Rita Abrahamsen

Rita Abrahamsen est professeure titulaire à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales et Directrice du Centre d’études en politiques internationales (CÉPI) à l’Université d’Ottawa. Ses intérêts de recherche portent sur la politique africaine, la sécurité et le développement, la privatisation de la sécurité et les théories postcoloniales.

Gino Vlavonou

Gino Vlavonou est doctorant en Relations internationales et Politique comparée à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Il a travaillé comme chercheur junior pour l’Institut d’Études de Sécurité (ISS) à la division de la Prévention de Conflits et Analyse de Risque (CPRA). Il est également chercheur associé au programme Comprendre les Conflits Violents (UVC) du Conseil de recherche en sciences sociales.

 

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