L’appui à la dualité linguistique - Martin Normand et Linda Cardinal

Publié le vendredi 12 juillet 2019

Impact

Résumé

Panneau Arrêt Stop et Parlement canadien

Les événements de l’automne 2018 qui ont pris à partie les minorités francophones et la dualité linguistique au pays, comme l’abolition du Commissariat aux services en français de l’Ontario, le retrait du financement à l’Université de l’Ontario français, l’annulation des Jeux de la Francophonie au Nouveau-Brunswick et le licenciement de traducteurs par le gouvernement du Manitoba, ont suscité de nombreuses réactions partout au pays. Dans la foulée, des intervenants, comme la Fédération des communautés francophone et acadienne du Canada et le Commissariat aux langues officielles, ont réclamé une action renouvelée et plus vigoureuse de la part du gouvernement canadien dans le domaine de la promotion des langues officielles. Pour sa part, le gouvernement fédéral s’est engagé à moderniser la Loi sur les langues officielles. L’élection fédérale de 2019 coïncide avec le 50e anniversaire de la première Loi sur les langues officielles, ce qui constitue une bonne occasion pour présenter les enjeux les plus pressants qui devraient être pris en compte par les partis politiques dans le cadre de la prochaine campagne électorale. Nous formulons quelques propositions concernant la modification de la Loi sur les langues officielles, mais également des propositions qui n’en nécessitent pas la modification pour être mises en œuvre.

Enjeu

  • L’élection fédérale de 2019 coïncide avec le 50e anniversaire de la première Loi sur les langues officielles adoptée en 1969. Malgré sa longue expérience dans le domaine des langues officielles, le gouvernement canadien donne souvent l’impression que la dualité linguistique, une dimension pourtant fondamentale de la vie du pays, importe peu. De plus, l’appui à la dualité linguistique est mis à mal par les gouvernements de certaines provinces, dont l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et le Manitoba. La classe politique doit faire preuve d’un plus grand leadership dans le domaine des langues officielles et mener des actions afin de favoriser la collaboration intergouvernementale.
  • Bien que la Loi ait été remplacée en 1988 et que cette dernière ait été modifiée en 2005, de nombreux intervenants, comme la Fédération des communautés francophone et acadienne du Canada et le Commissariat aux langues officielles, réclament une action plus vigoureuse en appui à la dualité linguistique et à la promotion des langues officielles dans les différentes sphères d’action du gouvernement canadien. En plus des enjeux de leadership, il existe des problèmes systémiques récurrents dans la mise en œuvre des obligations linguistiques par le gouvernement canadien. À titre d’exemple, mentionnons la méconnaissance par les fonctionnaires et les cadres de leurs obligations en matière de langues officielles, le manque de visibilité du Bureau de la traduction dans l’appareil gouvernemental, l’absence d’une lentille des langues officielles au sein du gouvernement et les pouvoirs limités du Commissariat aux langues officielles à l’égard des institutions récalcitrantes, comme Air Canada.

Contexte

  • La Loi sur les langues officielles a été adoptée en 1969, remplacée en 1988 et modifiée en 2005. Or, 50 ans plus tard, la dualité linguistique, le bilinguisme des institutions fédérales et l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) ne constituent pas des réflexes au sein du gouvernement canadien. Plusieurs comités, organisations et intervenants ont fait de la modernisation de la Loi sur les langues officielles une priorité en 2019. Depuis plusieurs mois déjà, des consultations à cet effet sont menées par le Commissariat aux langues officielles, par le Comité sénatorial sur les langues officielles, par le Comité permanent de la Chambre des communes sur les langues officielles, par la ministre fédérale des Langues officielles et par des organismes de la société civile.
  • Le récent rapport Borbey-Mendelsohn met en lumière qu’une culture de dualité linguistique inclusive fait toujours défaut dans la fonction publique fédérale. Ainsi, les fonctionnaires ont de la difficulté à travailler dans la langue de leur choix, et les traductions de documents de l’anglais vers le français sont souvent inadéquates.
  • Depuis plusieurs années, politiciens, juristes et organisations de la société civile réclament qu’une loi prévoie que les juges nommés à la Cour suprême du Canada soient bilingues à l’embauche pour éviter de devoir compter sur l’interprétation pour rendre des décisions, ce qui est une entorse à l’égalité réelle des langues officielles.
  • La modification de 2005 à la Loi sur les langues officielles oblige les institutions fédérales à prendre des mesures positives pour appuyer l’épanouissement des CLOSM et la promotion de la dualité linguistique. Or, dans une récente cause en Colombie-Britannique faisant suite à un transfert du fédéral vers la province de services gouvernementaux d’aide à l’emploi qui a entraîné la disparition de services en français qui étaient auparavant offerts, un juge de la Cour fédérale a affirmé que cette obligation n’était pas assez précise pour que le tribunal blâme une institution qui n’y satisfait pas. Dans sa décision, le juge a enjoint le législateur à redéfinir cette obligation.
  • Dans la dernière année, la dualité linguistique a été prise à partie dans diverses provinces, notamment au Manitoba, au Nouveau-Brunswick et en Ontario. À l’automne 2018, le premier ministre Trudeau a convoqué les chefs des autres partis politiques à son bureau pour une rencontre visant à discuter de la promotion de la dualité linguistique à travers le pays.

Facteurs à considérer

  • L’intervention du gouvernement canadien en matière de langues officielles au pays prend appui sur trois principes clés qui doivent continuer à guider son action en vue de la modernisation de la présente Loi. Ce sont :
    • La langue au Canada est objet de compromis. Ce compromis a été un puissant vecteur de cohésion sociale et doit continuer de l’être.
    • Depuis 1982, en raison de la reconnaissance du caractère fondamental des langues officielles pour la société canadienne, celles-ci sont des éléments clés de la citoyenneté canadienne, parce qu’elles sont des langues de culture, de science, de vie publique et d’avancement social.
    • L’objectif de la Loi sur les langues officielles doit être la progression de l’égalité du français et de l’anglais au pays, sans exclure par ailleurs la possibilité de permettre à d’autres langues de s’exprimer, en particulier les langues autochtones.
  • Le gouvernement fédéral intervient dans des domaines d’action jugés prioritaires par les CLOSM comme la santé et l’éducation, qui sont aussi des responsabilités provinciales. Le gouvernement fédéral intervient dans ces domaines en évoquant son pouvoir de dépenser, en développant des plans quinquennaux d’appui aux CLOSM et en négociant des ententes de transferts aux provinces. Ces ententes sont soumises au partage des compétences et le gouvernement fédéral n’exige pas de reddition de comptes de la part des provinces.  
  • Les CLOSM aspirent aussi à une plus grande représentation effective au palier fédéral par une participation accrue à la prise de décision en matière de politiques publiques et par une reconnaissance de la capacité des communautés à s’autodéterminer et à devenir les maîtres d’œuvre de leur propre épanouissement. Elles souhaitent aussi que les enjeux linguistiques soient mieux évalués lors de l’élaboration de programmes et de politiques grâce à l’adoption d’une lentille linguistique qui prendrait en compte leurs préoccupations.
  • En vertu de la Loi sur les langues officielles, les institutions fédérales doivent offrir de façon active leurs services dans les deux langues officielles, là où c’est prescrit. Les services doivent être accessibles, disponibles, visibles et de qualité équivalente dans les deux langues. Le gouvernement a récemment effectué une révision du règlement d’application de la partie IV de la Loi portant sur les communications avec le public qui sera progressivement mis en œuvre dans les prochaines années.
  • L’utilisation de nouvelles technologies dans la fonction publique s’accélère, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’égalité réelle du français et de l’anglais. Par exemple, le recours à la traduction automatisée de l’anglais vers le français engendre des communications qui ne sont pas de qualité équivalente dans les deux langues. Aussi, la mise en place d’équipes décentralisées peut rendre le droit de travailler dans la langue de son choix difficile à opérationnaliser.
  • La région de la capitale nationale et la Ville d’Ottawa revêtent une grande importance symbolique et sociale pour l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens. Bien que l’administration des municipalités situées dans la région de la capitale nationale, telle que la Ville d’Ottawa, soit de compétence provinciale, le gouvernement fédéral y joue néanmoins un rôle essentiel. Le gouvernement fédéral a renouvelé son engagement à promouvoir et à soutenir le caractère bilingue de la capitale nationale dans le cadre de son Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023. Or, le bilinguisme qui est pratiqué à Ottawa est un bilinguisme inégal, comme en témoignent les médias de façon régulière. 

Recommandations

  • Développer un outil d’analyse différenciée selon les langues officielles ou une lentille linguistique pour la planification, la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation de politiques et de programmes qui devra obligatoirement être utilisé par les institutions fédérales, du même type que l’outil qu’elles utilisent déjà en matière d’analyse comparative entre les sexes.
  • Exiger le bilinguisme à l’embauche pour les postes de supervision et pour les postes qui sont occupés par des fonctionnaires qui sont en contact avec le public dans les régions désignées bilingues en vertu du Règlement sur les langues officielles – communications avec le public et prestation des services.
  • Légiférer en vue de rendre obligatoire le bilinguisme des juges de la Cour suprême du Canada au moment de leur nomination.
  • Renforcer le mandat du Bureau de traduction en matière de langues officielles et obliger les institutions fédérales à utiliser ses services.
  • Adopter de nouveaux règlements d’application de la Loi sur les langues officielles en vue de : 1) bonifier l’offre active de services dans les deux langues officielles, en y ajoutant par exemple une obligation de consultation des CLOSM sur les besoins et les services offerts; 2) baliser l’obligation pour les institutions fédérales de prendre des mesures positives en matière d’épanouissement des CLOSM et de promotion de la dualité linguistique de façon à répondre aux suggestions de la Cour fédérale.
  • Ajouter des mécanismes de reddition de comptes et/ou des clauses linguistiques dans les ententes fédérales-provinciales-territoriales.
  • Prévoir des mesures visant à s’assurer que les organismes fédéraux subventionnaires de la recherche financent équitablement les travaux sur les CLOSM et qu’ils exigent une meilleure documentation de la variable linguistique dans les projets subventionnés.
  • Proposer une nouvelle Loi sur les langues officielles qui répond mieux aux besoins et aux aspirations des CLOSM, des employés de la fonction publique et des Canadiens et Canadiennes de façon globale, en phase avec le résultat des consultations déjà en cours.

Ajouter une nouvelle section dans cette loi modernisée sur le bilinguisme officiel de la Ville d’Ottawa où le gouvernement fédéral s’engage à prendre des mesures positives pour s’assurer que l’espace public de la capitale nationale reflète le caractère bilingue du pays et l’égalité réelle de ses langues officielles. 


Martin Normand

Martin Normand est stagiaire postdoctoral à l'École d'études politiques de l’Université d’Ottawa. Il détient un doctorat en science politique de l’Université de Montréal et une maîtrise de l'Université d'Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques linguistiques et sur la capacité d'agir au sein des minorités linguistiques. Il a été chargé de cours à l'Université de Montréal, à l'Université d'Ottawa et à l'Université de St-Boniface. Il est le responsable des comptes rendus pour la revue Francophonies d'Amérique. Il est aussi chroniqueur en affaires francophones à l'émission Sur le vif sur Ici Radio-Canada Première Ottawa-Gatineau.

Linda Cardinal

Linda Cardinal est professeure titulaire à l'École d'études politiques et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l'Université d'Ottawa. Ses travaux portent principalement sur l'analyse comparée des régimes linguistiques, les enjeux des minorités linguistiques, les politiques linguistiques et l'aménagement des langues (Canada, Europe et international).

Haut de page