
Résumé

Malgré l'adoption d'un plan global pancanadien de lutte contre les changements climatiques en décembre 2016, le Canada n'est toujours PAS sur la bonne voie pour respecter ses engagements internationaux de réduction des gaz à effet de serre (GES). Les piètres résultats du pays en ce domaine l'amènent à prendre du retard par rapport à d'autres pays industrialisés, ce qui engendre diverses vulnérabilités économiques et politiques. Le présent mémoire recommande un ensemble de politiques que le Canada pourrait adopter pour renforcer son plan d'atténuation des changements climatiques et soutient que le fait de retrouver une position de « chef de file en matière de climat » présenterait des avantages économiques et géopolitiques.
Enjeu
- Le Canada sera confronté à un éventail de vulnérabilités économiques et politiques s'il ne parvient pas à « rattraper » les autres pays industrialisés, dans un contexte où la communauté internationale s'attaque à l'atténuation des changements climatiques.
- Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques adopté en décembre 2016 est un pas dans la bonne direction, mais des mesures plus vigoureuses s'imposeront à long terme si le Canada veut demeurer économiquement concurrentiel dans l'économie mondiale du XXIe siècle, s'il veut maintenir sa réputation internationale et s'il veut faire sa part pour le climat.
Contexte
- Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a signalé en 2018 que le monde dispose d'un court laps de temps (jusqu'en 2030) pour mettre en œuvre de solides politiques d'atténuation du changement climatique afin d'éviter un réchauffement supérieur à 1,5 °C. De multiples « voies » pour rester dans les limites de 1,5 °C sont possibles, mais toutes exigent des réductions immédiates des GES et une hausse marquée de la séquestration du carbone.
- Le Canada s'est taillé une réputation de chef de file international en matière d'environnement dès le début des années 1970, lorsqu'il a co-présidé la conférence inaugurale de l'ONU sur l'environnement (à Stockholm, en 1972). Les gouvernements successifs ont maintenu cette position de chef de file grâce à leur rôle dans le Protocole de Montréal (1987), le « traité sur les pluies acides » avec les États-Unis (1991), des engagements fermes à l’égard du Protocole de Kyoto en 1992, etc. Cette position de leadership a commencé à s'éroder avec l'affaiblissement par le gouvernement Chrétien des mesures de conformité au Protocole de Kyoto, malgré la ratification officielle de ce dernier[1]. La réputation du Canada en matière d'environnement s'est encore ternie au cours des années Harper (2006-2015), quand le gouvernement a dilué ses objectifs de réduction des GES et qu'on l’a perçu comme faisant obstacle aux négociations sur le climat mondial. En 2015, le gouvernement Trudeau a annoncé que « le Canada était de retour », prêt à reprendre son rôle de leader.
- Depuis, le Canada a adopté un plan global de lutte contre les changements climatiques (Cadre pancanadien), dont les principales réussites à ce jour sont l'amélioration de l'efficacité énergétique et la production d'énergie à plus faible intensité de carbone. Cependant, alors que plus d'une dizaine de pays européens et les États-Unis ont connu d'importantes réductions de GES au cours des 15 dernières années[2], les réductions d'émissions du Canada au cours de cette période ont été minimes (2 %), et elles se sont stabilisées ces dernières années. Le Canada est loin d'atteindre ses propres objectifs de réduction des GES[3]. Malgré cela, un certain nombre de provinces menacent de contrecarrer les politiques du gouvernement fédéral en matière de changements climatiques (taxe et dividende sur le carbone).
Facteurs à considérer
- Les contours d'une « économie verte » du XXIe siècle commencent à se dessiner, et des technologies comme les véhicules électriques, la production d'énergie renouvelable et d'autres technologies et pratiques à faibles émissions de carbone se développent rapidement. Les pays qui ne tirent pas parti de ces marchés émergents à faibles émissions de carbone pourraient rater d'énormes opportunités d'investissement et finir par être « laissés pour compte », tandis que les pays qui continuent à dépendre des secteurs des ressources en combustibles fossiles pourraient se trouver confrontés à des difficultés économiques dues à une série de facteurs (prix élevés des matières premières, fluctuations rapides de la demande, goulots d'étranglement dans les exportations et le transport, etc.).
- Le Canada s’est porté candidat à un siège convoité au Conseil de sécurité de l'ONU en 2021, mais il fait face à une vive concurrence pour le vote de juin 2020 (contre l'Irlande et la Norvège). Si le Canada ne maintient pas sa position de chef de file en matière de climat, cela pourrait compromettre ses chances d'obtenir un siège au conseil[4].
- Le Canada possède un important secteur pétrolier et gazier (y compris les troisièmes réserves pétrolières en importance au monde), qui contribue pour environ 4 % au PIB du pays (environ quatre fois la taille du secteur de la construction automobile)[5]. C'est aussi un pays géographiquement vaste de l'hémisphère Nord, avec une économie riche et à forte consommation. À bien des égards, ces facteurs ont freiné les efforts de réduction des GES au cours des 15 dernières années. Plus précisément, les réductions de GES découlant de l'amélioration de l'efficacité énergétique et de la réduction de la production d'énergie à faible teneur en carbone ont été contrebalancées par : a) l'augmentation des émissions liées au pétrole et au gaz, b) l'augmentation des émissions issues du transport et c) la croissance économique[6].
- Alors que le reste du monde continue d’être confronté aux changements climatiques et d'en subir les conséquences, la pression sur le secteur pétrolier et gazier augmentera vraisemblablement à mesure que sa légitimité sera menacée et que les technologies et pratiques à faible intensité carbonique (véhicules électriques, télétravail, biocarburants, énergies renouvelables, électrification d'autres secteurs, etc.) risquent de supplanter la demande de pétrole et de gaz.
- En fin de compte, pour que les politiques de réduction des GES soient couronnées de succès, elles devront relever les inconfortables défis de la réduction de la demande de produits de combustibles fossiles et de la démobilisation de certains des actifs pétroliers et gaziers restants du pays. Plus les communautés affectées seront préparées à ces inévitabilités, moins elles seront économiquement vulnérables.
- Les coûts de la lutte contre les changements climatiques au Canada n'ont cessé d'augmenter au cours des dernières décennies (en rapport avec la gestion des catastrophes et la réponse aux demandes d'indemnisation pour les dommages matériels). Un rapport récent a révélé que le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde[7]. D'une manière générale, plus la planète se réchauffera, plus les dégâts seront élevés.
Recommandations
Au nombre des politiques susceptibles de renforcer le plan d'atténuation des changements climatiques du Canada afin de le protéger contre les vulnérabilités économiques et politiques, on retiendra les suivantes.
- Éliminer les subventions aux combustibles fossiles conformément aux engagements pris au G20 de 2009 et en réponse au rapport de vérification 2019 du commissaire à l'environnement et au développement durable (CEDD)[8]. Ces subventions ne font que renforcer la vulnérabilité et la dépendance du Canada à l'égard du secteur des combustibles fossiles.
- Adopter un plan national ambitieux et complet de décarbonisation du secteur des transports en conjonction avec les composantes existantes du Cadre pancanadien liées aux transports, en se concentrant sur la décarbonisation du secteur d'ici 2055. Cela nécessiterait un large éventail de réglementations, d'incitations commerciales, d'investissements, de partenariats avec le secteur privé et le secteur à but non lucratif et de coordination avec les services de planification provinciaux et municipaux, autant de choses qui viseraient à susciter des innovations majeures au regard des nouvelles technologies de transport, du réaménagement, de l'amélioration des systèmes existants et des grands projets d’infrastructures.
- Établir un marché global pour l'élimination et la séquestration du carbone, en collaboration avec le secteur privé et grâce à d'importants investissements en R-D et dans le secteur postsecondaire, de manière à faire du Canada le chef de file mondial dans ce secteur (ainsi que dans le secteur du transport sans carbone).
- S'engager à investir massivement dans les « emplois verts » en Alberta et en Saskatchewan, en accordant une attention particulière aux collectivités qui ont connu des difficultés économiques en raison du déclin du secteur pétrolier. Il pourra s'agir d'investissements publics dans la production ou la R&D dans de nouvelles industries à faibles émissions de carbone appartenant à l'État (stockage d'énergie, énergies renouvelables, technologies de transport à faibles émissions de carbone, bioénergie, hydrogène, etc.), ou de projets d'accords de partenariat avec des entreprises du secteur privé actives dans ces secteurs pour transférer des emplois dans ces régions.
- Réunir un groupe national d'experts pour élaborer un plan visant à plafonner la production de combustibles fossiles et à réduire le niveau d'extraction à des fins autres que la combustion (plastiques réutilisables de haute qualité, production d'hydrogène, etc.), et démobiliser les actifs à forte intensité de carbone restants.
[1] Jeffrey Simpson, « Mr. Chrétien’s Kyoto Sleight of Hand », Globe and Mail, 6 septembre 2002, https://www.theglobeandmail.com/news/politics/mr-chretiens-kyoto-sleight-of-hand/article756482/.
[2] Corinne Le Quéré et al., « Drivers of Declining CO 2 Emissions in 18 Developed Economies », Nature Climate Change, vol. 9, no 3 (mars 2019), p. 213, https://doi.org/10.1038/s41558-019-0419-7.
[3] Climate Action Tracker, Canada, climateactiontracker.org, 30 avril 2018, https://climateactiontracker.org/countries/canada/.
[4] Elise von Scheel, Parution : 29 avril 2019, 4 h, HE | Dernière mise à jour : 29 avril, « Costs for Canada’s UN Security Council Bid Keep Mounting », CBC News, 29 avril 2019, https://www.cbc.ca/news/politics/canada-un-security-council-von-scheel-1.5113585.
[5] Ressources naturelles Canada, « Énergie et Économie », Énergie et Économie, 6 octobre 2017, https://www.rncan.gc.ca/energie/faits/energie-economie/20073.
[6] Environnement et Changement climatique Canada, National Inventory Report 1990-2016: Greenhouse Gas Sources and Sinks in Canada [rapport d'inventaire national, 1990-2016 : sources et puits de gaz à effet de serre], Ottawa, Gouvernement of Canada, 2018.
[7] Ressources naturelles Canada, Rapport sur le climat changeant du Canada. Ottawa, Ressources naturelles Canada, 25 juin 2018), https://www.rncan.gc.ca/environnement/impacts-adaptation/21188.
[8] Bureau du vérificateur général du Canada, Gouvernement of Canada, Rapport 3 — Les subventions fiscales aux combustibles fossiles — Ministère des Finances Canada. Ottawa, Bureau du vérificateur général du Canada, 2 avril 2019, http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_cesd_201904_03_f_43309.html.

Ryan Katz-Rosene est Professeur adjoint à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, où il étudie et enseigne divers sujets touchant la politique environnementale mondiale, l’économie politique internationale et le rôle du Canada dans le monde. À l'université, Ryan participe à la coordination du réseau IPEN (International Political Economy Network). À l'extérieur du campus, il est Vice-président de l'Association canadienne d'études environnementales. En 2017, Ryan a terminé une bourse de recherche postdoctorale du CRSH à l'Université d'Ottawa, examinant les débats en cours sur le rôle de l'énergie nucléaire dans les efforts d'atténuation des changements climatiques.Il a obtenu son doctorat à la Carleton University en 2014, rédigeant sa thèse sur l'économie politique environnementale du développement du train à grande vitesse. Il vit et aide à gérer une petite ferme familiale biologique à Cantley, au Québec.