Réconciliation avec la Nation métisse - Janique Dubois

Publié le mardi 2 juillet 2019

Impact

Résumé

Table ronde avec quinze sièges vides

Le premier ministre Trudeau a fait de la réconciliation avec les peuples autochtones une priorité fondamentale. À l’instar des autres nations autochtones, la Nation métisse a demandé au Canada de respecter ses droits à l’autonomie gouvernementale et ses droits territoriaux dans le contexte de cet engagement. Longtemps considérée comme « le peuple oublié du Canada », la Nation métisse a été reconnue comme un peuple autochtone détenteur de droits dans la Loi constitutionnelle de 1982. Malgré cette reconnaissance, les Métis demeurent largement ignorés dans les politiques et programmes fédéraux. Comme l’a fait remarquer l’auteur du Rapport du représentant spécial de la ministre sur la réconciliation avec les Métis en 2016, la réconciliation doit être fondée sur des « actions concrètes ». Les mesures les plus urgentes réclament que le gouvernement fédéral élabore des politiques et des processus qui respectent les droits à l’autonomie gouvernementale et les droits territoriaux des Métis.

Enjeu

  • Bien que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 les reconnaît constitutionnellement aux côtés des Premières Nations et des Inuits comme un peuple autochtone ayant des droits, les Métis demeurent largement exclus des politiques et des processus au niveau fédéral. Cette exclusion fait obstacle à la concrétisation de leurs droits. L’exclusion des Métis vivant au sud du 60parallèle du processus des revendications territoriales globales du Canada en est la preuve.
  • L’invisibilité des Métis dans les politiques et les programmes fédéraux mène à des querelles de compétences qui ont des conséquences profondes pour la réconciliation. Cela est évident si l’on considère l’exclusion des Métis dans les excuses du gouvernement fédéral concernant les pensionnats indiens, que de nombreux Métis ont fréquentés malgré le fait qu’ils n’étaient pas assujettis à la Loi sur les Indiens. Le fait de ne pas reconnaître la place des Métis dans les politiques et programmes fédéraux s’accompagne d’un manque de reconnaissance de l’impact des politiques coloniales du Canada sur les Métis.
  • L’exclusion des Métis des politiques et programmes fédéraux mine la légitimité des Métis en tant que nation autochtone distincte et l’établissement d’une relation de nation à nation. Cette exclusion entrave notamment les efforts déployés par les gouvernements métis pour mener à bien leurs activités en tant que gouvernements représentatifs des citoyens et citoyennes métis.

Contexte

Les Métis sont une nation autochtone distincte issue de l’union des Premières Nations et des Européens pendant la traite des fourrures. Leur territoire historique comprend le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta, certaines parties de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, des Territoires du Nord-Ouest et du Nord des États-Unis. Liés par des liens de parenté, les Métis ont joué un rôle clé dans la vie économique et politique du Nord-Ouest historique avant la Confédération. Leur défaite militaire contre les troupes canadiennes à Batoche en 1885 et la pendaison subséquente de leur chef spirituel et politique, Louis Riel, ont entraîné la marginalisation des Métis dans le paysage politique canadien. Depuis la Confédération, les Métis ont été largement ignorés par les gouvernements fédéral et provinciaux, qui ont toujours nié leurs droits territoriaux et leurs droits à l’autonomie gouvernementale.

Depuis l’élection du premier ministre Trudeau, le gouvernement fédéral a pris les mesures suivantes pour lutter contre l’exclusion des Métis et promouvoir la réconciliation :

  • Le premier ministre Trudeau a inauguré un sommet annuel entre la Couronne et les Métis, qui est une rencontre entre le premier ministre, les principaux ministres du Cabinet et les présidents de toutes les instances dirigeantes du Ralliement national des Métis (Métis Nation of Ontario, Manitoba Metis Federation, Métis Nation-Saskatchewan, Métis Nation of Alberta et Métis Nation British Columbia);
  • L’Accord entre le Canada et la Nation métisse, signé lors du premier Sommet de la Couronne et des Métis en 2017, a mis en place un mécanisme bilatéral permanent pour permettre au Canada et à la Nation métisse d’établir annuellement des priorités et d’élaborer conjointement des politiques;
  • Le Canada et la Manitoba Metis Federation négocient actuellement un règlement de revendication territoriale en réponse à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire MMF c. Canada de 2013;
  • Des tables de négociation ont été établies entre le Canada et chaque gouvernement métis afin de parvenir à des ententes qui respectent leurs droits en vertu de l’article 35;
  • Des investissements propres aux Métis ont été faits en matière de logement, d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, d’éducation postsecondaire, de développement des compétences et de développement des entreprises.

Bien que ces initiatives aient été considérées comme des mesures positives par les dirigeants métis, en l’absence d’une réforme politique à grande échelle, elles demeurent tributaires de la volonté politique des dirigeants fédéraux. Cela s’explique par le fait que les Métis ne sont pas reconnus comme un peuple autochtone autonome dans la législation et que leurs droits demeurent largement ignorés dans les politiques relatives au territoire, à la justice, au logement, etc.

Facteurs à considérer

  • Étant donné l’exclusion historique des Métis des politiques fédérales, les pratiques ponctuelles qui ont été élaborées dans le dernier quart de siècle servent de guides précaires en matière de pratiques exemplaires. Souvent tributaires de la bonne volonté des individus et des efforts des fonctionnaires fédéraux et métis pour établir des relations, ces pratiques ne sont pas systématiques dans l’ensemble de la fonction publique. En fait, la première recommandation soulevée par le représentant spécial dans son rapport sur la réconciliation avec les Métis était la nécessité d’éduquer les fonctionnaires fédéraux qui s’occupent des questions autochtones sur l’histoire et les droits des Métis.
  • Les initiatives fédérales liées aux Métis dans un certain nombre de secteurs (p. ex., le logement, l’éducation) exigent la coopération des provinces, chose inconnue ou incohérente dans l’ensemble de la fédération.
  • Bien que les négociations sectorielles suivent une approche ascendante vers l’autonomie gouvernementale, conformément à l’engagement du Canada à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, on reproche au Canada ses mesures pour accroître le financement et répondre aux besoins sectoriels, qui ne satisfont pas aux obligations fondées sur le respect des droits des Métis.
  • Les progrès politiques en matière de droits des Métis ont principalement satisfait aux obligations juridiques découlant des arrêts de la Cour suprême du Canada, en particulier les arrêts MMF c. Canada (2013) et Daniels c. Canada (2016). Cela soulève la crainte que les actions du Canada se limitent à des obligations juridiques, alors qu’elles devraient être motivées par des engagements sociétaux, moraux et politiques.

Recommandations

Le gouvernement fédéral peut choisir de s’attarder de diverses façons à l’exclusion des Métis des politiques fédérales. L’une des options consiste à adopter une approche panautochtone, qui viserait à inclure les Métis et d’autres Autochtones dans les programmes et les politiques existants. En répondant aux besoins sur une base individuelle, le gouvernement fédéral demeurerait le fournisseur de programmes et de services. Une autre option consiste à adopter une approche fondée sur les distinctions, laquelle reconnaîtrait la spécificité des besoins des Métis au regard des politiques et des programmes. Cette approche exigerait des négociations avec les gouvernements métis ainsi qu’avec les provinces et permettrait aux gouvernements métis d’assurer la prestation de programmes et services, favorisant ainsi l’autonomie gouvernementale.


Janique Dubois

Janique Dubois est professeure adjointe à l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa. Sa recherche s’intéresse aux pratiques de gouvernance des minorités autochtones et linguistiques au Canada. Elle enseigne des cours qui touchent la politique canadienne, la politique autochtone, les provinces, le fédéralisme, les identités politiques et les droits des minorités.

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