
Résumé

Il est primordial que le gouvernement canadien se prépare à la prochaine crise économique, notamment parce qu’elle risque d’être encore plus dure pour les Canadiens que la précédente, en 2008. Notre gouvernement, comme bien d’autres dans le monde, a commis de graves erreurs dans sa réaction à la dernière crise, chose que nous devons éviter de répéter la prochaine fois. Cela signifie qu’il faut penser de manière plus créative, voire radicale, à la manière de créer une économie dans laquelle la stabilité à long terme, des emplois stimulants et une plus grande égalité constituent des priorités essentielles.
Contexte
- Il y a dix ans, l'économie mondiale était aux prises avec la plus grave crise financière depuis la Grande Dépression, provoquée par l’éclatement d’une bulle immobilière mondiale, une explosion des prêts hypothécaires à risque accordés à des emprunteurs non qualifiés et une prise de risques massive par les institutions financières.
- La Banque du Canada estime que la crise a fait reculer le PIB mondial de 15 %, ou fait disparaître 60 millions d’emplois dans le monde. Aux États-Unis, la Réserve fédérale a donné à entendre que la crise a coûté 70 000 $ par Américain.
- Bien que le Canada ait été très durement touché par cet effondrement de l’économie mondiale, nous avons été relativement chanceux comparativement à de nombreuses autres économies, du moins à court terme. Pourtant, notre gouvernement a commis trois erreurs très importantes dans sa réaction à cette crise : la suffisance, la timidité au regard des politiques et la lâcheté politique.
- Au début, les décideurs canadiens étaient remarquablement fiers de la façon dont nous avions mieux surmonté la crise que bien d’autres pays. En fait, nous avons plutôt eu beaucoup de chance. Vous vous souvenez des prêts hypothécaires de 40 ans sans mise de fonds? L’économie canadienne, tout comme celle des États-Unis, se dirigeait également vers un gâchis des prêts hypothécaires à risque, quoique plus lentement.
- Comme les gouvernements de presque tous les autres pays, le gouvernement canadien s’est montré très timide dans son approche de la réforme des systèmes financiers mondiaux et nationaux. Au bout du compte, on a écarté toutes les propositions plus imaginatives (comme la taxe sur les transactions financières, qui aurait aidé à ralentir les opérations financières spéculatives tout en apportant des ressources importantes pour faire face aux problèmes mondiaux tels que le changement climatique, le renflouement des banques lors de la crise suivante et la réduction de la pauvreté mondiale).
- Notre gouvernement s’est aussi rendu coupable de lâcheté politique. En effet, après quelques années de timides mesures de stimulation, les conservateurs ont suivi le reste du G7, adoptant l’austérité comme nouvelle devise. Comme l’austérité en elle-même a eu pour effet d’aggraver la récession (comme on l’a observé au Royaume-Uni et en Grèce), ils ont passé le flambeau aux banques centrales et leur ont demandé de faire le difficile travail de maintenir l’économie en s’appuyant sur des taux d’intérêt exceptionnellement bas.
- Ces trois erreurs nous ont coûté cher. La suffisance du gouvernement l’a empêché de voir que notre chance ne tiendrait peut-être pas la prochaine fois. Sa timidité nous a privés des outils financiers et économiques dont nous aurions besoin pour prévenir la prochaine crise financière ou y réagir. Et sa lâcheté politique a fait qu’il a négligé les politiques de soutien à la croissance des salaires et imposé des responsabilités excessives aux banques centrales, les obligeant à maintenir trop longtemps de bas taux d’intérêt. Ces mesures ont contribué à la faible croissance actuelle, à une stagnation des salaires et à un endettement élevé de l’économie, qui commence maintenant à s’essouffler.
Facteurs à considérer
- La réaction des décideurs canadiens à la dernière grande crise économique reposait sur l’hypothèse selon laquelle les problèmes étaient exceptionnels et pouvaient être réglés par des solutions temporaires, après quoi la situation reviendrait à la normale. Il est maintenant tout à fait clair qu’ils se sont trompés. Pourtant, ils continuent d’agir comme si le vieux mantra usé de la poursuite d’une faible inflation suffit encore à maintenir l’économie sur la bonne voie.
- Dans leur réponse à la dernière crise, les décideurs politiques ont également ignoré le problème sous-jacent de l’inégalité croissante. Constituant déjà un problème avant la crise, l’inégalité au Canada s'est aggravée depuis, les très riches profitant grandement des politiques d’après-crise, alors que les salariés à revenu moyen sont confrontés à une stagnation des salaires.
- La prochaine crise économique pourrait être causée par un certain nombre de déclencheurs, allant de l’endettement massif des ménages, des entreprises et des gouvernements du monde entier, à la prise de risques excessifs par les institutions financières frustrées par les faibles taux d’intérêt, en passant par l’exploitation des échappatoires de la réglementation actuelle pour relancer la croissance des types de titres adossés à des actifs qui ont été au cœur de la dernière crise. À cela viennent s’ajouter les effets de multiples facteurs d’incertitude politique allant des guerres commerciales aux tensions géopolitiques accrues, en passant par le Brexit.
- Quelle que soit la cause de la prochaine crise, il est clair que les Canadiens sont plus vulnérables qu’il y a dix ans, le niveau d’endettement des ménages ayant atteint le niveau record de 179 % du revenu disponible, et la capacité fiscale du gouvernement étant toujours grevée par les coûts de la réponse à la dernière crise.
- Il est clair également que les décideurs canadiens sont loin d’être bien préparés. Les taux d’intérêt sont maintenant trop bas pour permettre à la Banque du Canada de les baisser de façon significative afin de contrer une crise majeure.
Recommandations
Nous avons besoin d’une réflexion plus novatrice sur l’orientation que prendra l’économie, une réflexion qui ne reposera pas simplement sur l’hypothèse d’un retour à la normale. Cela suppose de penser de façon plus créative, voire radicale, à la manière de bâtir une économie qui aura pour priorités essentielles la création d’emplois valorisants et une plus grande égalité.
- Adopter des politiques (y compris un mandat pour la Banque du Canada) qui remettront l’emploi à l’ordre du jour plutôt que de le subordonner à la poursuite étroite d’une faible inflation.
- Veiller à ce que les politiques adoptées aussi bien avant qu’après la prochaine crise soient conçues pour atténuer plutôt qu’exacerber les inégalités (un problème que j’ai abordé avec ma collègue, Jennifer Wallner, dans un autre mémoire).
- À moyen terme, instaurer une réglementation financière nationale et internationale qui reflétera une répartition plus équitable des coûts et avantages associés à une économie mondiale dynamique.
- Repenser la philosophie économique globale de notre gouvernement et proposer une approche politique adaptée aux énormes défis qui nous attendent. Le changement climatique, par exemple, va nous obliger à réorganiser radicalement notre économie.
- Il est clair que nous ne pourrons y arriver seuls. Le Canada doit donc jouer un rôle de chef de file pour faire avancer l’économie mondiale dans une toute nouvelle direction au cours des mois, des années et des décennies à venir.

Le travail de Jacqueline Best porte sur les relations internationales, tout particulièrement sur la gouvernance des finances internationales et l’éthique de la mondialisation économique. Mme Best approfondit les questions relatives à la manière dont les transformations sociales et culturelles entrecroisent les politiques et les marchés financiers. Pour ce faire, elle étudie les questions de moralité en économie politique en se concentrant, dans une recherche empirique, sur les discours concernant les politiques.